( L’HOMME ET SA SANTE ) Notion de norme en santé

16/02/2023


CHAPITRE I. Cadre théorique et modèle social d'un bien commun : la santé

A. D'une définition biomédicale à l'approche de santé globale

1. Concept de santé : définitions et normes

En se basant sur l'étude de la santé comme norme de soin (Klein, 2008), il convient de s'interroger sur le fait-même de définir la santé car celle-ci émane trop souvent d'un jugement extérieur très relatif. Ce n'est pas l'individu qui se définit en bonne santé, mais précisément les autres. Ce n'est pas le fou qui s'identifie comme tel, mais les autres, son entourage ; la santé apparaît être un phénomène collectif qui n'existe que par la collectivité et qui ne se définit que par elle. La notion de santé implique certainement l'existence d'un état dit normal, mais l'appréciation de ce qui doit être considéré comme normal est toute relative. Si nous estimons que ce qui est normal est ordinaire c'est à dire conforme au modèle le plus fréquent, conforme à l'attendu, alors cela nous renvoie à la notion de norme. Le mot « santé » comporte donc l'acception de ce qui paraît convenable dans une société ou dans un groupe et dont la non- observance entraîne une désapprobation. La démarche même de définir la santé met en évidence le rôle de la pression sociale. Dans la mesure où les normes constituent le cadre de référence d'une société, celles-ci se trouvent associées aux valeurs développées par cette dernière27. Dans ce sens, les valeurs sont des normes générales reconnues par tous les membres d'une société et dans tous les contextes (privés et publics) et les normes sont des règles, des conduites qui s'appliquent et demandent à être respectées dans des contextes particuliers (famille, travail, santé…). Les auteurs, (Durkheim, Weber, Pareto, Parson, Homans, Opp, entre autres) qui se sont attardés à définir le concept de norme, à débattre des façons dont elle régule l'action sociale et à analyser ses multiples manifestations, s'accordent sur la nécessité d'une adhésion aux normes pour assurer le fonctionnement d'une société (Riutort, 1996).

Dans le domaine de la santé, les normes peuvent être classées en plusieurs catégories, je retiens la classification, qui me semble très complète, proposée par la sociologue québécoise Monique Caron-Bouchard :



Systèmes de Santé




Les normes diététiques/alimentaires (elles sont dictées entre autres par le guide alimentaire canadien et par différents acteurs en santé publique, mais peuvent aussi être imposées par la filière agroalimentaire) ;

Les normes comportementales (dans le domaine de l'activité physique, elles peuvent recommander, par exemple, d'être actif pendant 30 minutes, un minimum de trois fois par semaine) ;

Les normes économiques (elles peuvent réguler la composition des produits sur le marché, l'accessibilité de ceux-ci, le développement de nouveaux produits et régir les échanges commerciaux entre entreprises, entre provinces d'un même pays et entre pays) ;

Les normes sanitaires (elles s'appliquent à la propreté des lieux dans les endroits publics, aux mesures d'entreposage des aliments, etc.) ;

Les normes politiques (elles peuvent s'inscrire dans un cadre juridique ou d'orientation politique).

Nous pourrions rajouter à cette classification les normes relatives au corps et à la vie, ainsi que les normes sexuelles et familiales, telles qu'identifiées par Demeulenaere (2003).» (Caron-Bouchard, 2010)

Les dimensions normatives du concept de santé se placent également dans une perspective historique et culturelle de la santé publique.

« Jean-Pierre Dozon dégage quatre modèles historiques de la prévention, schème universel - le modèle magico-religieux (interdits et obligations) étant la référence des modèles de la contrainte profane (des exclusions aux sanctions), pastorien (l'éradication) et du modèle contractuel (l'éducation), actuellement dominant – qui fonde le pluralisme préventif contemporain. Dans le sillage des économies de la grandeur, Didier Fassin décrit le fonctionnement rhétorique et pragmatique de la «cité salubre ». L'idéal de santé n'est pas plus une idéologie qu'une utopie, elle est inflation d'un discours dont les réalisations modestes s'accommodent des contraintes idéologiques et économiques. » (Lézé, 2003).

Ici après, je présente une brève rétrospective chronologique afin d'identifier les moments-clés de l'évolution du concept de santé et de situer notre sujet sur le développement des compétences psychosociales dans cette perspective historique et culturelle.

Pour Dubas, le concept de santé basé sur le modèle biomédical forgé au cours du XIXe siècle, est paradoxal puisque la biomédecine, ayant pour paradigme la biologie, se donne pour objet les maladies et non la santé (Dubas, 2004). Au XIXe siècle, la santé est une conception centrée sur la maladie. La santé se trouve alors définie par son caractère négatif - l'absence de maladie et d'infirmité comme la paix pourrait se définir par l'absence de guerre. En 1936, le chirurgien René Leriche (1879-1955), disait que « la santé c'est la vie dans le silence des

organes ». Cette formule continue à être largement reprise et critiquée dans de nombreux articles encore aujourd'hui. On la retrouve parfois amputée « la santé c'est le silence des organes », elle est souvent commentée et critiquée comme obsolète, restrictive à la seule dimension biomédicale. Cette santé apparaît comme l'état biologique souhaitable qui se mesure par des indicateurs biophysiologiques.

Georges Canguilhem (1904-1995) dénonce déjà le dogme positiviste établi par Auguste Comte (1798-1857) selon lequel le pathologique est le miroir grossissant du normal, et la santé est vidée de son contenu original pour être définie comme une norme biologique absolue (Canguilhem, 1966). Ce sont en effet les travaux du philosophe Canguilhem, réalisés de 1943 à 1963, qui justifient actuellement un second modèle de la santé dit psychosocial. Un modèle où la santé est envisagée pour elle-même, ou elle n'est plus l'absence de maladie, ni « la vie dans le silence des organes » de Leriche, un modèle où le rapport de l'individu à sa santé et, dans le cadre du système de santé, le point de vue du malade, sont au cœur de la tentative de rationalisation (Klein, 2008). Pour Canguilhem, la maladie est un désordre qui

survient dans le corps et crée la rupture de l'harmonie, de l'équilibre. La maladie est un effort de la nature en l'homme pour obtenir un nouvel équilibre. Elle est une autre allure de la vie ; l'état de maladie impose une autre vie, une modification des allures habituelles. La fonction du soin est de rétablir cet équilibre, cet ordre (Dahmane, 2003). Les travaux dans le domaine de l'éducation du patient, notamment sur le maintien ou l'amélioration de la qualité de vie s'inspirent largement de cette vision nouvelle.


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